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15 avril 2020
5 questions à Claire Sulmont Rossé, directrice de recherche INRAE au Centre des Sciences du Goût et de l'Alimentation
- Pouvez-vous rappeler brièvement les principaux enseignements de l’enquête Aupalesens à laquelle vous avez participé ?
Un premier résultat important est que 46% des personnes délégant tout ou une partie de leur alimentation à un tiers (courses, repas, portage de repas à domicile, maison de retraite) sont à risque de dénutrition ou dénutries. Un second résultat est qu’améliorer la qualité sensorielle des repas en s’appuyant sur les préférences et les attentes sensorielles des personnes âgées est possible et efficace : cela permet effectivement d’augmenter la prise alimentaire et le plaisir de manger.
- D’après cette enquête, près de la moitié (46 %) des personnes résidant en EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) seraient à risque de dénutrition. Cette proportion n’atteindrait que 4 à 10 % des seniors vivant à domicile. Comment expliquez vous cela ?
Attention à ne pas faire de lien de cause à effet entre dépendance et dénutrition : ce n’est pas la dépendance qui crée forcément la dénutrition, mais les personnes à risque de dénutrition sont des personnes plus à risque de devenir dépendantes. De fait, la dénutrition augmenterait le risque de devenir dépendent. Quoiqu’il en soit, il est indispensable de garder ce chiffre – cette prévalence importante du risque nutritionnel chez les seniors dépendants – à l’esprit quand on a la responsabilité de nourrir des personnes âgées dépendantes (aide-ménagère, société de portage, restauration de maison de retraite…).
- À l’heure actuelle, la prévention et la lutte contre la dénutrition s’appuient essentiellement sur une prise en charge nutritionnelle. Est-ce une stratégie gagnante ?
Une prise en charge nutritionnelle, qu’il s’agisse de donner des conseils de diététique, d’enrichir les repas ou de prescrire des compléments nutritionnels oraux, doit respecter les conditions suivantes : être accompagnée d’une sensibilisation des personnes âgées et de leurs aidants aux enjeux de l’alimentation chez les personnes âgées et tenir compte des habitudes et des préférences alimentaires des personnes âgées.
- D’après vous, quelles actions sont pertinentes pour (ré-)engager les personnes âgées vivant en EHPAD dans l'acte alimentaire ?
Un premier niveau d’action, c’est sans doute déjà de faire du repas un « bon » moment dans tous les sens du terme : bon dans l’assiette (des aliments savoureux, à la bonne température, correctement présentés, identifiables…), bon à table (une table correctement dressée, un service chaleureux, du temps pour manger, des convives avec qui j’ai envie de manger), et bon dans la salle à manger (une salle à manger conviviale, lumineuse…).
- Au vue des contraintes inhérentes à la restauration collective, quelles sont vos idées pour veiller à satisfaire les besoins nutritionnels mais aussi à respecter les goûts personnels de chacun ?
Je dirais plutôt qu’au vu du nombre important de petits et tout petits mangeurs en EHPAD (7 à 8 personnes sur 10), il est essentiel de repenser l’alimentation en EHPAD pour permettre aux personnes âgées de satisfaire leurs besoins nutritionnels tout en respectant leur capacité d’ingestion. Une solution passe par l’enrichissement : augmenter la teneur en calories et en protéines des aliments sans augmenter voire en diminuant la taille des portions. Cela doit se faire en respectant les habitudes et attentes sensorielles des résidents – qui doivent avant tout être considérés comme des consommateurs à part entière.